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Georgios Gémistos dit Plethon (1355-1452), philosophe et théologien byzantin, est l’une des figures les plus remarquables de la Renaissance européenne. Son œuvre constitue un pont entre la pensée antique et l’humanisme de la Renaissance européenne. Pléthon est surtout connu pour sa tentative audacieuse de restaurer une identité grecque dans la justice envers les Dieux et la tradition de Platon.

La Théologie de Pléthon

Structure platonicienne

La théologie de Gémistos Pléthon se distingue par une synthèse entre le néoplatonisme, l’Hellénisme grec1 et une surcouche qui lui est propre. Il valorise Zarathustra dans Les Lois (voir l’image) et il s’en réclame dans d’autres écrits.

Pleton rejette le dualisme chrétien traditionnel qui oppose leur Dieu ( immatériel, transcendant et parfait) au monde matériel (et corrompu), en faveur d’une vision moniste et cosmique inspirée de Platon et des philosophes néoplatoniciens tels que Plotinos et Proklos. Pour Pléthon, le Divin se manifeste à travers une hiérarchie d’êtres, du suprême principe divin jusqu’aux âmes humaines. Le monde n’est pas opposé aux Dieux mais en constitue une émanation.

Platon nous enseigne que le cosmos sensible (ce que nous appelons aujourd’hui le kosmos aisthetos) est une manifestation imparfaite du monde des Idées/Formes (que nous nommons aujourd’hui le kosmos noêtos). Elle en dépend et en reflète la structure. Le disciple de Platon, Georgios Gemistos, adopte une perspective où le Dieu et le monde sensible font partie d’une même continuité cosmique

Une religion nationale

Dans son traité Les Lois, Pléthon propose une religion réformée fondée sur le culte des Dieux, dont le plus grand est Zeus, Dieu suprême. Même si Pléthon est considéré comme néo-platonicien (il est de toute façon un fervent platonicien), Il envisage une divinité suprême qui empreinte à la fois à l’Un et à l’Intellect de Plotinos2.

  • Zeus d’après Pléthon est principe de toute chose, ce qui est une facette de l’Un néoplatonicien. En même temps, Zeus incarne l’Intellect premier, le pouvoir créateur et l’essence même de la réalité3.

Les autres Dieux sont classés dans un deuxième ordre (les enfants de Zeus) et un troisième (les enfants de ses enfants)4. Une des premières choses que l’on remarque est que Plethon s’éloigne fortement des récits traditionnels.

5Ci-contre, Yves Hersant cite des fragments du Traité des Lois de Plethon :

  • Poséidon, le second dans la hiérarchie divine de Pléthon dans Les Lois6, symbolise l’ordre intermédiaire de l’âme humaine. Il est celui qui structure l’âme et la relie à la matière. Ce rôle rappelle la fonction démiurgique de l’Âme du Monde dans la philosophie platonicienne7.
  • Après lui, Héra préside à « La naissance, l’accroissement et la multiplication infinie des choses d’un ordre inférieur », et ainsi de suite.

Georgios Gemistos définit les Dieux comme des manifestations des principes cosmiques ou métaphysiques. C’est l’une des facettes les plus inspirantes de son approche théologique.

Pléthon prône également une forme de mysticisme où la contemplation et la connaissance des principes divins permettent d’atteindre l’épanouissement spirituel, cela dans la lignée de Plotinos et des Ennéades8. Quand il développe le domaine de l’élévation de l’âme à travers la contemplation pour s’unir au principe suprême, Plethon se place en digne successeur de Plotinos et des Ennéades.

« Nous devons restaurer l’adoration des Dieux véritables, qui ne sont pas des idoles, mais les principes divins animant l’univers. »9

La Vertu : Une éthique platonicienne

Comme d’autres auteurs grecs avant lui, Pléthon place la vertu au cœur de sa philosophie éthique. Il soutient que la vertu est le moyen par lequel l’âme humaine peut s’élever vers le Divin. Comme les autres auteurs, Pléthon synthétise la vertu en quatre piliers pour une vie vertueuse et donc rapprochée du Divin : la sagesse/prudence, la justice, le courage et la tempérance/maitrise de soi10.

Dans l’introduction de l’édition française du Traité des vertus, Brigitte Tambrun-Krasker écrit que la pensée de Plethon « est fermement guidée par deux pôles : Platon et Épictète ».

La vertu est indissociable de la raison, laquelle permet de comprendre l’ordre cosmique et de vivre en harmonie avec lui. Pléthon critique les déviations morales qu’il attribue à la corruption de la société byzantine tardive et appelle à un renouveau moral fondé sur les idéaux antiques.

« La vertu n’est pas simplement une obligation morale, mais un chemin vers la compréhension du Divin et l’union avec lui. »11

Défense de l’ethnos & refondation de la cité

« Nous sommes grecs par la lignée [génos, les ancêtres], comme en témoignent la voix et l’éducation de la patrie. » (« Εσμέν Έλληνες το γένος, ως η τε φωνή και η πάτριος παιδεία μαρτυρεί »)

Le projet religieux de Plethon est indissociable de son projet politique de refondation de la Grèce. Inspiré par la République de Platon, Plethon propose une réforme sociale et politique en trois classes avec une armée permanente. La réforme religieuse étant une première étape avant les suivantes.

Pléthon est également un fervent défenseur de la culture et de la nation grecques. Dans un contexte de déclin de l’Empire byzantin face à la montée de l’Empire ottoman, il considère que la préservation de l’identité grecque passe par un retour aux racines classiques.

Très certainement d’ancestralité dorienne12 et habitant de Mistra, non loin de Sparte, Plethon déclare :

« Il n’est de pays qui soit plus intimement associé aux Grecs que le Péloponnèse… C’est un pays que la même race grecque a toujours habité, aussi loin que la mémoire puisse remonter. Aucun autre peuple ne s’y était établi auparavant, aucun autre venu de l’extérieur ne l’a habité par la suite13

Il exhorte ses compatriotes à se réapproprier leur héritage culturel, scientifique et philosophique, qu’il considère comme supérieur aux influences étrangères, notamment latines et coloniales (ottomanes principalement).

Plethon étant décédé quelques années seulement avant la prise de Constantinople par les colons turcs en Anatolie, on peut se demander si 1453 n’aurait pas été une année différente si les Grecs avaient suivi la lumière de Georgios Gemistos.

Plethon célèbre la langue grecque comme un vecteur de culture et d’identité, et il considère la renaissance des traditions helléniques comme un moyen de revitaliser la nation grecque. Brigitte Tambrun-Krasker utilise l’expression de « philosophie religieuse empreinte de polythéisme nationaliste14 ».

« Si les Grecs retrouvent leur fierté et leurs traditions, ils seront capables de surmonter toutes les menaces extérieures.15»

Contributions dans d’autres domaines

Outre sa théologie, son projet politique et son éthique, Pléthon a laissé une empreinte notable dans d’autres disciplines ou sous-catégories :

  • Astronomie et cosmologie : Pléthon adhère à une vision d’un cosmos ordonné et éternel, avec les Dieux et une Âme du monde comme en action. Il confère un rôle fondamental aux corps célestes Et s’oppose au christianisme sur la question de l’astrologie (notamment).
  • Éducation : Il plaide pour une réforme éducative visant à enseigner les classiques grecs, les sciences, et les vertus. Plethon estime que l’éducation est la clé pour former une élite éclairée capable de guider la société.
  • Critique religieuse : Il est célèbre pour ses débats avec les théologiens orthodoxes, notamment lors du Concile de Florence (1438-1439), où il défend la primauté de la philosophie sur la théologie dogmatique.
  • Critique philosophique : Plethon compare Platon et Aristote dans son traité Sur la Différence entre Platon et Aristote (Περὶ Διαφορᾶς Πλάτωνος καὶ Ἀριστοτέλους).

Héritage

L’influence de Gemistos Plethon s’est étendue bien au-delà de son époque. Après sa mort, ses écrits ont inspiré des penseurs de la Renaissance italienne tels que Marsile Ficin et ont fortement contribué à la redécouverte de Platon en Occident.

Cet auteur byzantin est une référence importante pour les Grecs revenant à leur religion nationale originelle. Il est en train de devenir une source d’inspiration pour des Européens s’inscrivant dans un démarche de retour à la foi native européenne, notamment en France.

Références

  1. De nos jours, en Grèce, l’Hellénisme est synonyme de civilisation grecque, ou de ce qui est fait par les Grecs. Mon utilisation ne s’écarte pas de ce cadre mais elle se centre sur l’Hellénisme dépourvu de christianisme, en référence à l’identité grecque qui comprend sa religion nationale dite « polythéiste ». ↩︎
  2. L’Un, l’Intellect et l’Âme https://plethon.fr/2025/01/26/lun-lintellect-et-lame/ ↩︎
  3. Zografidis, The Almighty Zeus of Plethon ↩︎
  4. Les Lois, I Chapitre 5, Principes généraux sur les Dieux ↩︎
  5. Un Hellène chez les Latins : Georges Gémiste Pléthon, Yves Hersant ↩︎
  6. Les Lois, I Chapitre 5, Principes généraux sur les Dieux ↩︎
  7. Siniossoglou, Radical Platonism in Byzantium ↩︎
  8. Mysticism and Rationality. A Neoplatonic Perspective ↩︎
  9. https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9783110561074-321/html ↩︎
  10. Si la plupart des auteurs français traduisent la σωφροσύνη/sophrosynê par « tempérance », je lui préfère la notion de maitrise de soi. ↩︎
  11. https://books.google.com/books?hl=en&lr=&id=Qh6_EAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PP1&dq=authentic+quotes+by+g%C3%A9mistos+pl%C3%A9thon&ots=naYoTh1e_1&sig=VhbiYIE9NQUrkoV-gpra0_MnX7k ↩︎
  12. Un indice supplémentaire qui me fait penser que Plethon est un Dorien est qu’il voit dans Apollon un Dieu de l’Identité. Il en était de même à Sparte. ↩︎
  13. Les derniers siècles de Byzance, 1261-1453. Donald MacGillivray Nicol. Les Belles Lettres, 2005 ↩︎
  14. Traité des vertus, Introduction, page 25 ↩︎
  15. https://brill.com/edcollchap/book/9789004527850/BP000013.xml ↩︎

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