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Après avoir étudié le Pythagorisme il faut à présent nous intéresser aux autres courants dits présocratiques qui ont alimenté le platonisme. Les courants dits présocratiques sont généralement regroupés regroupées en 6 :
- École ionienne (Milet et environs)
- École éléatique (Élée, Italie)
- Héraclite d’Éphèse
- École pythagoricienne
- Pluralistes
- Atomistes
Puisque nous avons traité le courant pythagoricien dans un article à part1, nous devons connaître les autres courants souvent moins renommés alors qu’ils ont apporté un matériel fondamental à Platon, comme on va le voir. Comme avec Pythagore, on dispose généralement de peu de sources. La plupart du temps, on reconstitue la pensée de ces auteurs par des fragments.
École ionienne (Milet et environs)
Active au VIe siècle avant JC à Milet, en Ionie (les Ioniens forment l’un des quatre ethnos grecs originels), cette école marque le début de la philosophie occidentale par ses explications naturalistes, rompant avec les récits mythologiques. Les penseurs s’appuient sur l’observation et la spéculation pour identifier un principe originel (archè). Les penseurs principaux de ce courant sont Thalès, Anaximandre et Anaximène.
Histoire
Les penseurs ioniens ont cherché des principes naturels (archè) pour expliquer l’origine et la structure du cosmos. Leur approche, bien que spéculative, pose les bases de la science et de la philosophie occidentales.
Les sources primaires sur les Ioniens sont fragmentaires, principalement transmises par des auteurs postérieurs comme Aristote (Métaphysique, Physique), Simplicius, et Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres). Les fragments authentiques sont rares, et les témoignages indirects (doxographies) nécessitent une analyse critique2.
Pensée
Les Ioniens cherchent un principe unique (archè) pour expliquer la diversité du cosmos (eau pour Thalès, apeiron pour Anaximandre, air pour Anaximène). C’est une forme de monisme.
Par naturalisme, ils contourneent les explications mythologiques, proposant des causes naturelles basées sur l’observation et la spéculation.
La cosmologie de ce courant introduit des concepts comme l’équilibre (Anaximandre) et la transformation (Anaximène).
Les Ioniens combinent observation empirique (éclipses, météorologie) et abstraction, posant les bases de la science.
Les principaux penseurs de l’École ionienne
Thalès de Milet (625-545 avant JC)
Thalès est parfois considéré comme le premier philosophe occidental. Selon Diogène Laërce, Thalès était un citoyen influent de Milet et connu pour ses compétences en astronomie, mathématiques et politique. Il aurait prédit une éclipse solaire en 585 avant JC3, bien que cette attribution soit débattue.
Thalès proposa que l’eau est le principe fondamental de toutes choses4. Cette idée, pourrait avoir été inspirée par l’observation de l’humidité comme condition de la vie ou des influences mythologiques orientales (par exemple, l’océan primordial dans la mythologie babylonienne).
Thalès envisageait la Terre comme un disque flottant sur l’eau.
Thalès est crédité de découvertes géométriques (par exemple, l’égalité des angles à la base d’un triangle isocèle) et d’observations astronomiques.
Anaximandre de Milet (610-546 avant JC)
Anaximandre, disciple de Thalès, est considéré comme un penseur plus systématique, introduisant des concepts abstraits et une méthode plus rigoureuse.
Selon Diogène Laërce, Anaximandre était un citoyen éminent de Milet, actif dans les domaines de la philosophie, de l’astronomie et de la géographie. Il est crédité de la rédaction d’un des premiers traités philosophiques en prose sur la nature. Il aurait dessiné une des premières cartes du monde connu et introduit le gnomon (instrument pour mesurer le temps par l’ombre) en Grèce.
Anaximandre propose que l’apeiron (l’illimité, l’indéfini) est le principe originel de toutes choses5. Contrairement à l’eau de Thalès, l’apeiron est une substance abstraite, infinie en quantité et en qualité, sans caractéristiques déterminées.
Anaximandre conçoit un cosmos ordonné, avec la Terre cylindrique flottant librement au centre, sans support matériel. Il décrit les cieux comme des anneaux de feu entourés de brume, expliquant les astres comme des ouvertures dans ces anneaux (DK 12A21).
Anaximandre propose une proto-théorie biologique, suggérant que les humains descendent d’organismes aquatiques. Cette idée, bien que spéculative, anticipe les conceptions modernes de l’évolution. Aujourd’hui nous savons que la vie sur Terre a commencé dans l’eau, aussi la pensée d’Anaximandre pour nous surprendre par son anticipation.
Anaximandre affirme que les choses « se rendent mutuellement justice et réparation pour leurs injustices selon l’ordre du temps ». Cette idée suggère un équilibre cosmique, où les contraires (chaud/froid, sec/humide) s’équilibrent dans un cycle éternel.
Anaximène de Milet (585-525 avant JC.)
Anaximène, disciple d’Anaximandre, revient à un principe matériel mais développe un mécanisme pour expliquer la transformation. Peud’informations biographiques sont disponibles sur Anaximène, mais il est considéré comme un continuateur de la tradition milésienne, selon Diogène Laërce.
Anaximène propose que l’air est le principe fondamental, dont toutes choses dérivent par des processus de condensation et de raréfaction. Par exemple, l’air raréfié devient feu, tandis que l’air condensé devient eau, puis terre.
Comme Thalès, Anaximène voit la Terre comme un disque flottant, mais il précise qu’elle est soutenue par l’air. Les astres sont des corps enflammés flottant dans l’air, tournant autour de la Terre.
La condensation et la raréfaction constituent une explication systématique de la diversité des substances à partir d’un principe unique, complétant les théories de Thalès et Anaximandre.
École éléatique (Élée, Italie)
Active au VIe-Ve siècle avant JC à Élée, cette école privilégie la logique et l’ontologie, rejetant les sens au profit de la raison (logos). Les penseurs principaux de l’Ecole éléatique sont Xénophane, Parménide, Zénon et Mélissos. À l’image du dialogue de Parménide, ce courant est annonciateur de l’importance de la logique chez Platon et Aristote.
Ontologie : Parménide et Mélissos fondent l’ontologie en posant l’être comme unique, éternel, et immuable, rejetant le non-être.
Pensée
Les Éléates développent la logique déductive (Parménide) et dialectique (Zénon), privilégiant la raison sur les sens.
Xénophane et Parménide distinguent la vérité rationnelle (aletheia) de l’opinion sensible (doxa), influençant l’épistémologie.
Contrairement à Héraclite, les Éléates nient le mouvement et la pluralité dans le Cosmos.
Les principaux penseurs de l’école éléatique
Xénophane de Colophon (570-478 avant JC)
Xénophane, originaire de Colophon en Ionie, s’installe à Élée après un exil, et est souvent considéré comme le précurseur ou le fondateur de l’École éléatique. Diogène Laërce décrit Xénophane comme un poète-philosophe itinérant, auteur de poèmes élégiaques et iambiques, critique des croyances traditionnelles. Il aurait vécu à Élée et en Sicile, influençant Parménide par ses idées sur la divinité et la connaissance.
Xénophane rejette les conceptions poétiques des Dieux, critiquant leur immoralité. Il déclare que « Homère et Hésiode ont attribué aux dieux tout ce qui est honteux et blâmable chez les hommes ». Il propose un dieu suprême. « Un dieu, le plus grand parmi les dieux et les hommes, ni par la forme ni par la pensée semblable aux mortels ».
Xénophane souligne les limites de la connaissance humaine, distinguant la vérité absolue de l’opinion.
Bien que moins systématique que les Ioniens, Xénophane propose des idées naturalistes, comme l’origine de la Terre à partir de l’eau et du limon.
Parménide d’Élée (515-450 avant JC)
Parménide est le penseur central de l’École éléatique. Il est considéré comme le père de l’ontologie occidentale.
Selon Diogène Laërce, Parménide était un citoyen d’Élée, peut-être lié à Xénophane, et auteur d’un poème philosophique en hexamètres, Sur la nature, dont environ 150 vers subsistent. Platon le présente comme un penseur influent, en dialogue avec Socrate, bien que cette rencontre soit probablement fictive.
Dans son poème, divisé en deux parties (« Voie de la Vérité » et « Voie de l’Opinion »), Parménide affirme que « l’être est, le non-être n’est pas » (DK 28B2). L’être est unique, éternel, immuable, indivisible, et homogène, tandis que le non-être est inconcevable (DK 28B8 : « Il n’est pas né, il n’est pas sujet à la mort ; il est entier, unique, immobile, sans fin »).
Parménide est le premier à utiliser la logique déductive pour défendre ses thèses, rejetant les sens comme source de vérité. La « Voie de la Vérité » repose sur la raison (Logos), tandis que la « Voie de l’Opinion » décrit les apparences trompeuses du monde sensible.
Dans la « Voie de l’Opinion », Parménide propose une cosmologie dualiste (lumière et nuit comme principes), mais il la présente comme une description erronée des perceptions humaines, subordonnée à la vérité de l’être (DK 28B8.50-61).
Parménide nie le mouvement, le changement, et la pluralité, car ils impliquent le non-être (par exemple, le passage de l’être au non-être). Cette position s’oppose directement à Héraclite et aux Ioniens.
Zénon d’Élée (490-430 avant JC)
Zénon, disciple de Parménide, est connu pour ses paradoxes défendant la thèse de l’unité et de l’immobilité de l’être.
Platon (Parménide, 127a) présente Zénon comme le disciple et compagnon de Parménide, défendant ses idées par des arguments logiques. Zénon est célèbre pour ses paradoxes, transmis principalement par Aristote6.
Zénon développe des arguments dialectiques pour défendre la thèse parménidienne selon laquelle l’être est un, immuable, et indivisible. Ses paradoxes visent à montrer l’absurdité du mouvement, de la pluralité, et de la divisibilité :
- Paradoxe d’Achille et la tortue : Achille ne peut rattraper une tortue en raison de l’infinité des divisions de l’espace (Aristote, Physique, 239b).
- Paradoxe de la flèche : Une flèche en vol est immobile à chaque instant, donc le mouvement est impossible (DK 29A25).
- Paradoxe de la dichotomie : Pour parcourir une distance, il faut d’abord en parcourir la moitié, puis la moitié de la moitié, et ainsi de suite, rendant le mouvement impossible (DK 29A25).
Zénon utilise la «reductio ad absurdum», montrant que les hypothèses contraires à Parménide (mouvement, pluralité) conduisent à des contradictions logiques.
Héraclite d’Éphèse
Les idées clés d’Héraclite sont :
- L’importance du logos comme principe rationnel régissant le cosmos, unifiant les contraires.
- Le perpétuel changement, illustré par la métaphore du fleuve (DK 22B12 : « On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve »).
- Unité des opposés : Les contraires (jour/nuit, guerre/paix) forment une harmonie sous-jacente.
- Le feu comme archè : Symbole du changement et de l’énergie cosmique (DK 22B30 : « Ce cosmos […] est un feu toujours vivant »).
Histoire
Héraclite vécut à Éphèse, une cité ionienne prospère au VIe siècle av. JC, dans un contexte d’échanges culturels entre la Grèce et des civilisations orientales. Selon Diogène Laërce7, Héraclite était un aristocrate d’Éphèse, peut-être lié à la prêtrise du culte d’Artémis. Il se tenait à l’écart de la vie politique, critiquant les institutions et les poètes.
Son œuvre, traditionnellement intitulée Sur la nature (Peri Phuseôs), est connue à travers environ 130 fragments cités par des auteurs postérieurs (Platon, Aristote, Clément d’Alexandrie, Hippolyte, etc.). Ces fragments posent des défis d’interprétation, mais leur analyse rigoureuse permet de reconstituer sa pensée.
Pensée
On pourrait synthétiser la pensée d’Héraclite en quatre concepts clés : le logos, le devenir (panta rhei), et l’unité des opposés, et enfin le feu comme archè.
Le Logos
Le logos désigne à la fois la raison universelle, la loi qui régit le cosmos, et le discours rationnel par lequel Héraclite communique sa pensée. Selon Kahn (1979), il s’agit d’un principe immanent, une structure intelligible qui unifie les phénomènes changeants du monde.
Le logos a un rôle cosmique. Il est la force ordonnatrice qui harmonise les contraires et garantit la cohérence du cosmos. Héraclite critique les hommes qui, ignorant le logos et se fient à leurs perceptions individuelles. La connaissance véritable nécessite de comprendre le logos par la réflexion.
Il me semble clair que le Logos d’Héraclite préfigure l’Intellect platonicien.
Le devenir et le flux (panta rhei)
Héraclite est souvent associé à l’idée que « tout coule » (panta rhei), bien que cette formule exacte ne figure pas dans les fragments. Elle découle de témoignages comme celui de Platon (Cratyle 402a), qui attribue à Héraclite l’idée que tout est en perpétuel changement, comme un fleuve.
En d’autres termes, Héraclite est un précurseur de la conception du monde sensible chez Platon, lequel est en perpétuel devenir et où tout est périssable, par opposition au monde intelligible.
L’unité des opposés
Héraclite soutient que les contraires ne sont pas séparés, mais interdépendants, formant une unité sous-jacente.
Les contraires sont sont des aspects complémentaires d’une même réalité. L’harmonie cosmique résulte de la tension entre ces contraires, régulée par le Logos.
Le feu comme archè
Héraclite identifie le feu comme l’archè, le principe fondamental du cosmos (DK B30, B90). Contrairement aux Milésiens, qui privilégient des substances matérielles (eau, air), le feu est pour Héraclite à la fois une substance et un symbole du changement et de l’énergie vitale. Selon Kahn (1979), le feu représente la dynamique du cosmos, où tout se transforme en tout par des cycles régulés (DK B90 : « Toutes choses s’échangent contre du feu, et le feu contre toutes choses, comme les marchandises contre de l’or et l’or contre les marchandises »).
Le cosmos, pour Héraclite, est un processus dynamique régi par le logos. Le feu, qu’il considère comme le principe fondamental (DK B30 : « Ce cosmos, le même pour tous, aucun dieu ni homme ne l’a fait ; il a toujours été, il est et il sera un feu toujours vivant, s’allumant selon mesure et s’éteignant selon mesure »), symbolise cette transformation incessante.
Mélissos de Samos (470-430 avant JC)
Mélissos est rattaché à l’École éléatique pour sa pensée bien qu’il soit originaire de Samos en Ionie. Sa pensée systématise et simplifie celle de Parménide.
Contrairement à Parménide, qui décrit l’être comme fini et sphérique, Mélissos affirme que l’être est infini en étendue et en temps (DK 30B3 : « Il est éternel, infini, un, et tout semblable »).
Mélissos nie l’existence du vide, renforçant l’idée que l’être est plein et immobile.
Comme Zénon, Mélissos utilise la logique pour défendre l’unité et l’immuabilité de l’être, mais ses arguments sont plus explicites et moins paradoxaux.
Pluralistes
Actifs au Ve siècle av. J.-C., les pluralistes (Empédocle, Anaxagore) répondent à Parménide en proposant plusieurs entités fondamentales pour expliquer le changement et la pluralité tout en respectant l’immuabilité de l’être. Les penseurs principaux du pluralisme sont Empédocle et Anaxagore.
Idées clés :
- Pluralisme : Contrairement aux monistes ioniens, les pluralistes postulent plusieurs entités fondamentales (éléments, spermata, atomes) pour expliquer la diversité du cosmos.
- Réponse à Parménide : Ils respectent l’immuabilité de l’être tout en permettant le changement par la combinaison et la séparation des entités.
- Cosmologie dynamique : Les pluralistes décrivent un cosmos en mouvement, régi par des forces (Amour/Haine, Noûs, tourbillons).
- Naturalisme : Ils proposent des explications rationnelles pour les phénomènes naturels, anticipant la science moderne.
- Épistémologie : Ils distinguent raison et sensation, posant les bases de la réflexion sur la connaissance.
Histoire
Les pluralistes émergent dans un contexte de débat philosophique intense, marqué par l’opposition entre l’ontologie éléatique (Parménide, Zénon), qui nie le changement et la pluralité, et les cosmologies ioniennes (Anaximandre, Héraclite), qui décrivent un monde dynamique. Les pluralistes proposent des théories où plusieurs entités fondamentales, éternelles et immuables, interagissent pour expliquer la diversité du cosmos.
Penseurs
Empédocle d’Agrigente (490-430 avant JC)
Empédocle postule que la réalité est composée de quatre « racines » immuables et éternelles : la terre, l’air, le feu, et l’eau. Ces éléments sont indivisibles et inaltérables, répondant à l’exigence éléatique de permanence.
Deux forces cosmiques et dynamiques, l’Amour (Philotes) et la Haine (Neikos), régissent l’union et la séparation des éléments (DK 31B17 : « Tantôt toutes choses s’unissent par l’Amour en une seule, tantôt elles se séparent par la Haine »). Ces forces expliquent le changement sans violer l’immuabilité des éléments.
Empédocle décrit un cycle cosmique où l’Amour domine pour créer un état d’unité (le Sphairos, une sphère homogène), suivi par la Haine, qui engendre la séparation et la diversité (DK 31B26-27). Ce cycle est éternel, évitant l’idée d’un commencement ou d’une fin.
Empédocle propose une théorie proto-évolutionniste, où les organismes naissent de combinaisons aléatoires d’éléments, les formes viables survivant (DK 31B57-61). Il croit également en la transmigration des âmes, influencé par le pythagorisme (DK 31B117 : « J’ai été jeune fille, jeune homme, buisson, oiseau, et poisson muet surgi de la mer »).
Empédocle valorise les sens, mais les subordonne à la raison (DK 31B3 : « Ne retiens pas la vérité dans tes yeux, ni dans tes oreilles, ni dans ta langue, mais juge par la raison »).
Anaxagore de Clazomènes (500-428 avant JC)
Anaxagore propose que tout est composé de minuscules particules éternelles et immuables, appelées spermata. Ces graines contiennent une portion de chaque substance (chair, os, or, etc.), et leur combinaison explique la diversité des objets sans création ni destruction.
Anaxagore introduit le Noûs (l’Intellect, dont nous avons déjà parlé8) comme une force cosmique distincte, infinie, et immatérielle, qui initie et organise le mouvement des graines.
DK 59B12 : « Le Noûs est infini, autonome, et n’est mélangé à rien ; il est seul, lui-même par lui-même »). Le Noûs est la cause du mouvement initial du cosmos, formant un tourbillon (dinê) qui structure l’univers.
Le cosmos naît d’un mélange originel de toutes les graines, mis en mouvement par le Noûs, créant une séparation progressive des éléments.
Anaxagore propose des explications rationnelles pour les phénomènes naturels, comme les éclipses (le soleil est une masse incandescente, la lune reflète sa lumière).
Atomistes
Développé au Ve siècle avant JC à Abdère, l’atomisme propose un matérialisme mécaniste, répondant à Parménide tout en expliquant la pluralité et le mouvement. Les penseurs principaux de l’atomisme sont Leucippe et Démocrite.
Idées clés :
- Atomisme : Les atomes, indivisibles et éternels, et le vide, condition du mouvement, expliquent la pluralité et le changement sans violer l’immuabilité de l’être parménidien.
- Matérialisme mécaniste : Tous les phénomènes (cosmiques, biologiques, psychologiques) sont expliqués par le mouvement des atomes, sans causes divines ou intelligentes.
- Épistémologie : La distinction entre raison (vérité des atomes) et sensation (qualités conventionnelles) pose les bases de la philosophie de la connaissance.
- Déterminisme : Le cosmos est régi par la nécessité (anankê), excluant le hasard ou la finalité (DK 68A1).
- Cosmologie : Les atomistes proposent un univers infini avec des mondes multiples, formés par des tourbillons aléatoires.
Histoire
Les atomistes émergent dans le même contexte que les pluralistes, marqué par les tensions entre l’ontologie éléatique (Parménide, Zénon), qui nie le mouvement et la pluralité, et les cosmologies dynamiques des Ioniens (Héraclite, Anaximandre) et des pluralistes (Empédocle, Anaxagore).
Selon Guthrie (1965), Leucippe et Démocrite cherchent à réconcilier l’immuabilité de l’être parménidien avec la diversité et le changement observés dans le monde sensible. Leur solution repose sur l’idée d’atomes indivisibles évoluant dans un vide, permettant le mouvement et la pluralité sans violer les principes éléatiques.
Abdère, une cité prospère de Thrace, favorise les échanges intellectuels, et les voyages de Démocrite en Égypte et en Perse, rapportés par Diogène Laërce (IX, 34-49), suggèrent une influence possible des cosmologies orientales.
Les sources primaires sur les atomistes sont fragmentaires, principalement conservées dans les témoignages d’Aristote (Métaphysique, De la génération et de la corruption), Simplicius (Commentaires sur la Physique), et Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres).
Penseurs
Leucippe (Ve siècle avant JC)
Leucippe postule que la réalité est composée d’atomes (particules indivisibles, atomos) et de vide (fragment DK 67A7). Les atomes sont éternels, immuables, et diffèrent par leur forme et leur taille, répondant à l’exigence éléatique que l’être ne naît ni ne périt. Le vide, bien que non-être, permet le mouvement et la pluralité, contredisant directement Parménide, qui nie l’existence du non-être.
Selon Leucippe, le cosmos naît du mouvement aléatoire des atomes dans le vide, formant des tourbillons (dinê) qui agrègent les atomes pour créer des mondes (fragment DK 67A1). Ce processus est purement mécanique, sans intervention divine ou intelligente.
Leucippe répondant à Parménide, accepte l’immuabilité de l’être (les atomes) mais introduit le vide pour expliquer le mouvement, résolvant ainsi les paradoxes de Zénon sur l’impossibilité du mouvement.
Démocrite d’Abdère (460-370 avant JC)
Démocrite, disciple de Leucippe, est le principal développeur de l’atomisme, connu pour sa pensée prolifique et ses contributions à la physique, à l’éthique, et à l’épistémologie.
Démocrite développe la théorie de Leucippe sur les atomes et le vide, affirmant que tout est composé d’atomes indivisibles et de vide (fragment DK 68A1). Les atomes diffèrent par leur forme, leur taille, et leur position, et leur mouvement dans le vide explique tous les phénomènes (DK 68A37 : « Rien n’arrive par hasard, mais tout arrive par nécessité »). Le vide est une condition nécessaire du mouvement, répondant ainsi aux paradoxes de Zénon.
Les atomes, en mouvement éternel, s’agrègent par des tourbillons (dinê), formant des mondes multiples (DK 68A40). Ce processus est mécanique, sans finalité divine ou intelligente, contrairement au Noûs (prononcé « no ous» en grec ancien) d’Anaxagore.
Démocrite distingue la connaissance « légitime » c’est-à-dire par la raison, qui saisit les atomes et le vide; de la connaissance « obscure » ou par les sens, qui perçoivent des qualités conventionnelles. DK 68B11 : « Par convention, le doux, l’amer, le chaud, le froid, la couleur ; en vérité, les atomes et le vide ». Cette distinction anticipe la différence entre qualités primaires et secondaires.
Démocrite propose une éthique où le bonheur résulte de la modération et de l’équilibre. Il valorise la connaissance et la vertu.
Fragment DK 68B191 : « Le bonheur ne réside ni dans les troupeaux ni dans l’or, mais dans l’âme ».
Démocrite s’intéresse à l’astronomie (explication des éclipses), à la biologie (théories sur la reproduction), et aux mathématiques (problèmes d’infinis et de divisibilité), selon le fragment DK 68A33 ou encore 68B155).
Conclusion
Ces courants sont diversifiés et s’opposent entre eux. Héraclite fait état d’un monisme dialectique (feu, logos) et les Éléates décrivent un monisme strict (un être immuable) tandis que les Pluralistes et les Atomistes énumèrent plusieurs entités (éléments, spermata, atomes).
Les Pythagoriciens (voir l’avant dernier article) décrivent un cosmos harmonieux, structuré par les nombres. Ioniens proposent un cosmos dynamique ; les Pluralistes un cosmos cyclique (Empédocle) ou initié par un tourbillon (Anaxagore) ; les Atomistes un cosmos multiple, formé par des tourbillons mécaniques.
Mais dans l’ensemble, on comprend l’influence sur Platon (Logique, âme, etc..), Aristote (causes, éléments), et la science moderne (atomisme, évolution, astronomie). Les présocratiques, à travers leurs écoles et courants, posent les fondations de la pensée occidentale.
Références
- https://plethon.fr/2025/04/27/le-pythagorisme-une-racine-pre-socratique-du-platonisme/ ↩︎
- Comme le soulignent Kirk, Raven et Schofield (The Presocratic Philosophers, 1983) ↩︎
- Hérodote, Histoires, I, 74 ↩︎
- Aristote, Métaphysique, 983b ↩︎
- Aristote, Physique, 203b ↩︎
- Aristote. Physique, VI ↩︎
- Diogène Laërce. Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, 1-6), ↩︎
- https://plethon.fr/2025/01/26/lun-lintellect-et-lame/ ↩︎