Le livre Lire Platon, publié aux éditions Presses Universitaires de France (PUF) dans la collection Quadrige, est une œuvre collective dirigée par Luc Brisson et Francesco Fronterotta.
Paru dans sa troisième édition mise à jour en 2019, cet ouvrage d’environ 300 pages se présente comme un manuel à la philosophie de Platon, le pilier fondamental de la pensée occidentale. Conçu par un groupe de spécialistes internationaux, il propose une approche plurielle qui éclaire les dialogues platoniciens sous des angles variés, tout en restant ancré dans une perspective pédagogique.
Après avoir contextualisé l’œuvre de Platon dans deux premières parties, l’ouvrage traite de la pensée de Platon en trois partie avant de conclure sur la postérité du philosophe athénien.
Comprendre Platon
« Les dialogues affirment que la philosophie est un don divin et que les Dieux, eux mêmes savants, ont inspiré aux hommes le désir du savoir » – Jean-François Pradeau
Louis André Dorion, au chapitre La figure paradoxale de Socrate, précise que le maitre de Platon « est un intermédiaire, plu précisément un médiateur entre les hommes et les Dieux. Il occupe en effet une position intermédiaire entre les hommes – qui croient savoir, mais qui ne savent pas – et les Dieux, qui sont les seuls détenteurs du véritable savoir (…) comme son nom l’indique, le philosophe est celui qui aspire au savoir qui est l’apanage de la divinité ».
Plus loin, l’ouvrage explore la nature des dialogues et le rôle des mythes. Jean François Pradeau relève que « Platon nomme mythe le récit qu’une communauté se transmet de génération en génération, et dont elle estime à la fois qu’il témoigne de son passé et qu’il porte avec lui ce qu’elle a de plus éminent et de plus spécifique, son identité et ses valeurs. Le mythe est ainsi et d’abord, quel que soit son objet, l’histoire que l’on raconte depuis longtemps au sein d’un même groupe civique, et qui transmet le patrimoine spirituel et moral de ce groupe. »
Le terme « science » selon Platon, écrit Luc Brisson, « doit être réservé chez Platon à la connaissance de la réalité véritable à laquelle seul le philosophe peut parvenir par l’intuition, ce qui l’apparente à la divinité ». Brisson définit les Formes1 comme étant les « objets de la dialectique qui, par l’intermédiaire du processus de rassemblement, remonte d’abord de Forme en Forme vers le Bien, puis par l’intermédiaire du processus de division, redescend de Forme en Forme pour aboutir à une définition en restant toujours dans le domaine de l’intelligible ».
La pensée de Platon
La pensée de Platon est véritablement creusée dans 3 parties :
Le sensible et l’intelligible
Le corps et l’âme, où l’on peut distinguer le vivant la connaissance
Gouvernement de soi et gouvernement de la cité
Le sensible et l’intelligible
« Chez Platon , parlez de vivants, c’est évoquer la catégorie des êtres pourvus d’un corps et d’une âme (…) ce corps (σῶμα) dont tous les vivants sont dotés se compose de seulement 4 éléments : le feu, l’air, l’eau et la terre. » – Luc Brisson
La première partie explore la question de la conception du monde, Ce qui nous plonge dans le débat philosophique entre Platon et les présocratiques, et nous introduit à la métaphysique platonicienne. Luc Brisson et Arnaud Massé analysent le Timée. « L’âme du monde qui maintient dans l’univers l’ordre mathématique instauré par le démiurge, partout où elle arrive à exercer un pouvoir absolu2 présente les caractéristiques suivantes : c’est une réalité intermédiaire, qui présente l’aspect d’un enchevêtrement de cercles (la plus « noble » des figures planes car elle présente la symétrie la plus grande) entretenant les uns avec les autres des rapports mathématiques et qui dans l’univers expliquent tout le mouvement aussi bien psychique que physique. »
Le corps et l’âme – le vivant
« En tant que source de mouvement pour le monde et pour toute chose , l’âme est forcément une réalité immortelle caractéristique que sa fonction comme sujet cognitif exige elle aussi » – Francesco Fronterotta
La partie Le corps et l’âme explore les questions du vivant, de l’âme et de la connaissance. « Ce que l’on appelle vivant, c’est cet ensemble, une âme et un corps fixé à elle3 ». L’ouvrage passe de la métaphysique à une approche plus physique, Non sans parler de la nature des Dieux et des Daïmons.
Selon le Timée, « L’homme est une réalité qui anime et donne la vie, laquelle consiste à son tour en un mouvement régulier et ordonné : ce qui se meut d’un mouvement ordonné est donc vivant ». La question de l’intellect est également traitée : « Mais le mouvement ordonné en quoi consiste la vie fait également intervenir l’intellect impliquant une activité de pensée, car la pensée est un mouvement ordonné de caractères noétiques qui se produit dans un intellect et par l’action d’un intellect ».
Le corps et l’âme – la connaissance
« Aucun homme n’a atteint la certitude ni ne l’atteindra jamais au sujet des Dieux et de tout ce sur quoi je parle : même si par hasard il disait la parfaite vérité, lui-même ne s’en rendrait pas compte. En effet, l’opinion est le lot de tous les hommes » – Xénophane
Dans la partie La connaissance : science et opinion, Yvon Lafrance pose la question : qu’est ce que connaître ? C’est l’occasion de creuser de la théorie de la réminiscence, l’idée de Platon selon laquelle nous n’avons que l’illusion d’apprendre quelque chose alors qu’en réalité nous nous souvenons de ce quelque chose que nous savions avant la naissance, dans une autre réalité. « La théorie platonicienne de la connaissance peut donc être considérée comme un « Éloge de la philosophie et de la vie philosophique » qui anime et inspire toute l’œuvre de Platon. C’est dans la philosophie que Platon a trouvé sa vérité sur toutes les choses, et c’est comme philosophe qu’il a jeté son regard critique non seulement sur le savoir de son époque, mais aussi sur les institutions sociales et politiques. Il a cherché dans la philosophie cette sagesse capable de rendre le citoyen vertueux et ainsi d’assurer le bonheur de la cité. »
Gouvernement de soi et gouvernement de la cité
« La vertu, pensée comme ἀρετή, comme excellence, n’est rien d’autre que ce qui met une chose dans son état le meilleur et lui permet d’accomplir excellemment ce qu’elle accomplit. La vertu d’un être coïncide avec son bien le plus propre, avec son intérêt. L’injustice, contraire de la justice, à la puissance inverse. » Anne Merker
Létitia Mouze écrit que « Pour Platon, la politique comme l’éducation visent à améliorer l’âme des citoyens. Le législateur a les yeux fixés sur les quatre vertus fondamentales (Sagesse, Justice, Courage, Tempérance) et cherche à les développer chez les citoyens.
Mario Vegetti note que La République et le Politique mettent en avant « une royauté non dynastique trouvant sa légitimation dans la vertu et le savoir ». La théorie des philosophes rois y est développée.
Enfin, Francisco Lisi aborde de la question de la politique platonicienne : « Socrate distingue le vrai politique, qui possède un savoir, des hommes politiques ordinaires qui agissent par intuition, en vertu d’une opinion droite et non pas d’un savoir et de la réflexion. C’est dans la République que le rapport entre savoir et politique trouve son expression la plus claire, et surtout dans l’exigence d’unir la connaissance philosophique et le pouvoir politique, une exigence que l’on retrouve à la fin de la vie de Platon dans les lois. (…) La politique au sens platonicien n’est que l’application de la philosophie dans la pratique ».
Conclusion
L’ouvrage est une bonne introduction aux œuvres de Platon. Sa lecture facilite la compréhension des dialogues et du Platonisme en explicitant les grandes lignes de la pensée platonicienne. Contrairement à des livres comme Lectures de Platon – écrits pour des connaisseurs – Lire Platon s’en tient aux grandes lignes de la pensée de Platon (non sans la justesse nécessaire).
La théorie des principes (L’Un et la Dyade indéfinie4) est l’objet d’une sous-partie, sans trancher trop clairement dans le débat universitaire qui existe sur le fait de savoir si Platon avait développé un enseignement dogmatique en dehors de ses dialogues. Pour ma part, je renvoie le lecteur au Philèbe,15d-17a.
L’ouvrage est forcément partial dans ses choix, par exemple par rapport au plan qu’il a choisi de développer concernant la pensée de Platon. Pour ma part j’aurais opté pour une tripartition : Métaphysique, Logique, Éthique. Il est vrai que d’un point de vue plus scolaire, ce découpage permettrait moins facilement de traiter des questions comme la gouvernance développée dans la République. Le paragraphe consacré au Néoplatonisme est assez court. Il aurait été possible d’expliquer les apports principaux de Plotinos et Proklos par rapport au Médioplatonisme, au moins les principes de procession (πρόοδος) et de conversion/retour (ἐπιστροφή)5.
« Lire Platon » ne saurait donc être parfaitement exhaustif et détaillé à propos de la pensée platonicienne, quoi que l’on puisse difficilement faire mieux avec les choix éditoriaux des auteurs. Il est une très bonne introduction avant de lire les dialogues et les grands auteurs platoniciens, notamment par rapport à la contenu du Timée et au contexte historique.
Note : cette publication est basée sur l’édition de 2006 de l’ouvrage. Des différences pourraient exister avec la dernière version.