Getting your Trinity Audio player ready...
|

Les communautés de la religion nationale grecque ont célébré hier les Thargélies (Thargelia), ou la célébration de la naissance d’Apollon et d’Artémis. C’est l’occasion de revenir sur la place des Dieux qui symbolisent le soleil et la lune dans la religion grecque.
Chacun de ces Dieux aurait mérité un article à lui seul sinon plusieurs. Nous allons voir que les jumeaux nés de Lêto et Zeus sont propices à être connus ensemble, car ils partagent plus qu’une complémentarité des astres.
Artémis
Essence

Artémis est la lune. Callimaque, dans son Hymne à Artémis, la décrit comme une chasseresse armée d’un arc, accompagnée de nymphes, et une protectrice des jeunes filles, des bêtes sauvages et de la Nature. Sa chasteté, symbole de pureté, contraste avec son pouvoir sur la fertilité et la mort. Artémis est aussi une déesse des chemins, des épreuves et dans une certaine mesure du courage, comme Arès.
Culte
Le culte d’Artémis était répandu, avec des sanctuaires et festivals majeurs
Le festival des Brauronia dans l’Attique, décrit par Aristophane dans Lysistrata était un rite de passage pour les jeunes filles (5-10 ans). Elles vivaient un an dans le sanctuaire, participant à des danses et rituels symbolisant leur transition vers la féminité.
Plusieurs éortasmoi (célébrations, terme actuel de la religion nationale grecque) se déroulaient à Athènes :
- Elaphebolia (6e jour du mois d’Elaphebolion) : Offrandes de gâteaux en forme de cerf, symboles de la chasse, selon Plutarque1.
- Mounikhia (Pirée) : Danses de jeunes filles déguisées en ours, renforçant le lien avec les rites de passage, comme mentionné par Harpocration (2e siècle).
- Kharisteria : Après la victoire de Marathon (-490), 500 chèvres étaient sacrifiées à Artémis Agrotera, selon Hérodote (Histoires, Livre 6. 112).
- Thargelia (voir plus bas) : procession et sacrifices à Apollon et Artémis.
Un temple d’Artémis se trouvait à Éphèse. Il est l’une des sept merveilles du monde.

A Sparte, comme nous l’avons étudié2, Artémis était vénérée sous plusieurs épiclèses :
- Artemis Orthia3 : Le sanctuaire d’Orthia, près de la rivière Eurotas, était le lieu du festival le plus notable, décrit par Pausanias4. Les jeunes garçons subissaient une épreuve de flagellation (diamastigosis) près de l’autel, prouvant leur endurance pour devenir des guerriers. Ce rituel, parfois mortel à l’époque archaïque, fut modéré sous l’époque romaine mais restait un symbole de la discipline spartiate. Les fouilles de l’École britannique d’Athènes (1906-1910) ont révélé des masques en terre cuite et des figurines, suggérant des danses rituelles associées5.
- Artemis Korythalia : Le culte sur la route d’Amyklès6 datant au moin du 7ème siècle était lié à la végétation et aux danses lascives des jeunes filles. Ces chants, analysés par Claude Calame7, renforçaient l’éducation féminine.
- Artemis Limnatis : Près de la frontière avec Messène, ce culte impliquait des processions avec cymbales et danses, selon Pausanias8. Il était parfois le théâtre de tensions territoriales, comme rapporté par Thucydide9.
- Artemis Dereatis : Sur le mont Taygète, associée à des hymnes et danses reflétant un aspect plus sauvage de la déesse10.
- Les filles spartiates chantaient des partheneia en l’honneur d’Artémis, intégrant son culte dans leur formation physique et sociale.11
Apollon
Essence

Apollon est le soleil. Il est le Dieu de l’identité, de la cohésion, mais aussi celui de l’harmonie. Son rôle d’intellect divin se renforce à l’époque des Néoplatoniciens et des Hellénistes (polythéistes) médiévaux.
Dans les récits des poètes, il est Dieu ambivalent : guérisseur (Iatros), il peut infliger des maladies, comme dans l’Iliade (Livre 112), où il envoie une peste sur les Grecs. Son association avec le soleil et la lumière renforce son image de clarté intellectuelle.
L’Hymne homérique à Apollon raconte sa naissance à Délos et sa victoire sur le serpent Python, fondant son rôle de Pythien.
Culte
Le culte d’Apollon était centré sur des sanctuaires majeurs :
Delphes : L’oracle de Delphes, où la Pythie délivrait des prophéties, était le centre religieux le plus prestigieux. Les Jeux Pythiques, tous les quatre ans, incluaient des compétitions musicales, poétiques et athlétiques. Les fouilles de l’École française d’Athènes (1892-1901) ont révélé des offrandes et inscriptions confirmant l’importance du sanctuaire.13
Délos : Île de naissance d’Apollon et Artémis, avec un sanctuaire où les Delia, festivals panhelléniques, incluaient des hymnes, danses et concours, selon l’Hymne homérique à Apollon.
Athènes :
- Thargelia (voir plus bas) : procession et sacrifices à Apollon et Artémis.
- Boedromia (7e jour de Boedromion) : Célébration d’Apollon Boedromios, protecteur en temps de guerre, lié à une victoire mythique de Thésée14.
Sparte

Apollon était le dieu protecteur de l’identité de Sparte, incarnant la cohésion et l’harmonie15. Ses festivals majeurs incluaient :
- Karneia : Fête annuelle en l’honneur d’Apollon Karneios16. Elle durait neuf jours, avec des tentes symbolisant la vie militaire, des processions, des danses, et une course rituelle (staphylodromoi), où des jeunes poursuivaient un homme représentant la fertilité17. Ce festival renforçait l’unité et la discipline spartiates.
- Hyacinthia : Festival national à Amyklès, commémorant Hyacinthe, amant d’Apollon18, il durait trois jours : un jour de deuil (sacrifices, lamentations), suivi de deux jours de célébrations (banquets, danses, concours). Les fouilles d’Amyklès (Tsountas, 1890) ont révélé des offrandes liées à ce culte19.
- Gymnopaidiai : Fête estivale avec des danses de jeunes hommes, honorant Apollon et liée à l’entraînement militaire.20
Le sanctuaire d’Apollon Amyklaios à Amyklès (Lacédémone, toujours dans la région de Sparte) avec une statue colossale21, était un centre religieux majeur. Les Spartiates consultaient l’oracle de Delphes avant les campagnes militaires, soulignant l’importance stratégique d’Apollon22.
Thèbes : Apollon Ismenios était vénéré avec des sacrifices et hymnes.
Corinthe : Apollon était honoré avec des processions et offrandes, comme indiqué par des inscriptions du sanctuaire de Pérachora.
Thargelia

Les Thargelia (ou Thargélies) constituent une célébration (éortasmos) religieuse de la religion nationale grecque. Cette année, sa date était fixé au 3 mai 2025.
Durant l’âge d’or, les Thargelia étaient une célébration majeure en l’honneur d’Apollon et Artémis, principalement à Athènes et à Délos, durant le mois de Thargélion (fin mai/début juin, apparemment autour des 23 t 24 mai). Elles marquaient la transition vers l’été et visait à purifier la cité et à favoriser la fertilité agricole. Le culte d’Apollon Thargelios est directement lié à cette festivité.
Un rituel d’expulsion de pharmakoi (boucs émissaires humains) ainsi qu’une offrande rituelle des premiers fruits (thargēlos), symboles de reconnaissance aux dieux, avaient lieu. durant cette fête d’une durée de deux jours.
Jour 1 – Purification et expulsion
- Deux pharmakoi (habituellement des criminels ou des étrangers) étaient choisis.
- Ils étaient nourris aux frais de la cité pendant quelques jours.
- Puis, on les menait en procession hors de la ville. Ils étaient battus symboliquement avec des figues ou des branches de figuier sauvage. Dans certaines versions, ils étaient brûlés ou précipités dans la mer mais cela est probablement métaphorique ou a été abandonné à l’époque classique voire avant dès la période archaïque. Il n’y pas de certitude mai d’après Walter Burkert que j’estime être l’un des grands experts de l’âge d’or, la violence de cette célébration était rituelle mais non létale au moins à l’époque de la Grèce classique.
- Naissance symbolique d’Artémis.
Jour 2 – Offrandes et célébration
- Procession et sacrifices à Apollon et Artémis.
- Thargelos : mélange de céréales cuites (orge, blé, légumineuses) présenté en offrande.
- Chants, concours poétiques, purification des autels.
- Naissance symbolique d’Apollon.
Théologie de Proklos
Dans un article précédent consacré à Athéna23, j’avais souligné que la déesse est à la fois une hénade et une déesse hypercosmique et encosmique. Artémis et Apollon apparaissent aux mêmes classes dans la Théologie platonicienne de Proklos.
«Dieux séparés du monde» (hypercosmiques-encosmiques)

- Artémis apparait dans la triade vivifiante faisant «passer à l’acte toutes les raisons naturelles et à la perfection l’imperfection de la matière».
- Apollon apparait dans la triade élévatrice aux côtés d’Hermès et Aphrodite et «attire les êtres vers la vérité intellective et vers la lumière de là-bas.
Artémis et Apollon sont aussi de classe hypercosmique, au dessus de la précédente
- Artémis apparait dans le rôle que nous avions étudié dans l’article consacré à Athéna, aux côtés de cette dernière au sein de la triade Corique24. Artémis est le sommet de cette triade en tant que gardienne des âmes et des passages.
- Apollon se voit dédier la triade Apolloniaque par Proklos, où trois aspects d’Apollon et du Soleil (confondus) sont regroupés :
- La lumière intellective, symbolisé en unité : elle «les élève vers l’intellect des Dieux25».
- L’harmonie musicale, incarnant l’ordre cosmique : «par le moyen de la musique et à l’harmonieuse providence».
- La «puissance qui anéantit tout le désordre et l’agitation qui s’oppose à la forme».
Hénades
Proklos ne personnifie que très peu les Hénades, qui procèdent de l’Un-Bien. Mais puisqu’il déclare dans sa Théologie platonicienne qu’Athéna est une Hénade, on peut raisonnablement en penser de même pour Apollon lorsqu’il identifie une «Hénade de l’ordre solaire». Sans la nommer explicitement ainsi, Proklos nous donne les principes pour identifier Artémis comme Hénade de la séparation et de la préservation, de la pureté et de la génération, en cohérence avec son rôle cosmique que nous avons étudié précédemment.

Apollon seigneur, toi qui règles et gouvernes l’identité (…) toi qui établis l’accord entre les âmes et en fait sortir la sagesse et la justice (…)
Artémis seigneuresse, toi qui règle et gouverne la diversité (…) tu leurs donnes (aux âmes) la force et la sophrosynê (…)
Théologie de Plethon
Georges Gémiste Pléthon fait état d’une complémentarité totale chez les jumeaux nés de Lêto et Zeus.
Il déclare d’Apollon qu’il est le Dieu de l’identité alors qu’Artémis est la déesse de la diversité. Ce choix est cohérent avec l’héritage hellénique mais il explicite particulièrement le rapport entre Apollon et Artémis. Apollon et Artémis incarnent ainsi à eux seuls l’unité et la multiplicité.
Les hymnes composés par Plethon (et qui sont toujours récités par les Hellénistes depuis l’époque médiévale) fait des Dieux du soleil et de la lune les pôles des quatre piliers de la vertu.
Apollon est lié à la sagesse et la justice tandis qu’Artémis est liée à la force (courage) et à la sophosynê (tempérance/maitrise de soi).
A écouter, à partir de 03:05, les plus hauts degrés de la hiérarchie divine de Plethon :
Références
- Plutarque. Vie de Solon. 1er siècle ↩︎
- https://plethon.fr/2025/02/10/lorganisation-divine-et-cosmique-de-sparte-partie-1/ ↩︎
- https://soundcloud.com/herakleios/herakleios-arthemis-orthia-1 ↩︎
- Pausanias. Description de la Grèce. Livre 3. 16.7-11) ↩︎
- Dawkins, The Sanctuary of Artemis Orthia, 1929 ↩︎
- https://soundcloud.com/herakleios/herakleios-lumiere-damykles ↩︎
- Claude Calame. Les Chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque. 1977 ↩︎
- Pausanias. Livre 4. 4 ↩︎
- Thucydide. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Livre 5 ↩︎
- Pausanias. Livre 3. 20 ↩︎
- Sarah B. Pomeroy. Spartan Women. ↩︎
- Homère. L’Iliade. Livre 1 ↩︎
- Roux, Delphes, son oracle et ses dieux, 1976 ↩︎
- Xénophon. Anabase. Livre 3 ↩︎
- https://plethon.fr/2025/02/10/lorganisation-divine-et-cosmique-de-sparte-partie-1/ ↩︎
- Pausanias. Livre 3. 13.3-5 ↩︎
- Hérodote. Histoires. Livre 6.106 ↩︎
- Xénophon. Helléniques. Livre 4. 5 ↩︎
- Pettersson, Cults of Apollo at Sparta, 1992 ↩︎
- Plutarque. Vie de Lycurgue ↩︎
- Pausanias. Livre 3.19 ↩︎
- Thucydide. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Livre 5 ↩︎
- https://plethon.fr/2025/03/24/athena/ ↩︎
- Lire la description dans la vidéo YT : https://www.youtube.com/watch?v=qsnogu5Pa54&ab_channel=Herakleios ↩︎
- Proklos. Théologie platonicienne. Livre 6, page 61. Les Belles Lettres ↩︎